Naissance de la pomologie

 

Lorsqu'on veut connaître la signification d'un mot, il faut aller voir chez les grecs ou les latins, la plupart du temps. En latin, pomum signifie fruit (à noyaux ou à pépins) ou parfois arbre fruitier. La pomologie est donc bien l'étude de toutes les espèces et variétés fruitières. Alors, remontons au-delà de cette période de l'antiquité où les mots se sont forgés. Dans le récit de la chute (La Bible, Genèse 3), il est bien question d'un arbre, du fruit mangé par Eve et partagé avec Adam, mais pas de pomme ! Cela ne nous empêchera pas d'imaginer un scénario illustrant les premiers pas du pomologue….

La découverte.
En fait, notre histoire est un peu différente. Adam revenait de la chasse, bredouille comme d' habitude ; aussi cueillit-il quelques fruits avant de rentrer. Il donna à Eve une pomme qu'elle croqua à pleines dents, mais qu'elle recracha aussitôt en même temps que sa colère, le fruit était acide ! Ne sachant plus que faire, pour la calmer, il suspendit autour de ses oreilles, deux grappes de cerises. Elle sourit de se trouver si belle, mangea un de ces petits fruits rouges, tendres et sucrés, et joua en lançant les noyaux au plus loin. A partir de ce jour, il y eut les pépins et les noyaux. Le lendemain, qui était le premier jour, Adam alla cueillir toutes sortes de fruits.
Le deuxième jour, il les tria. Il disposa sur un lit de paille les fruits gros et ronds qu'il avait pris sur l'arbre près du rocher et les baptisa « Pommes ». Il posa sur de l'herbe séchée les fruits gros et longs qu'il avait trouvés au pied du grand arbre au bord du champ, et les appela « Poires ». Dans une urne, il plaça les petits fruits rouges cueillis sur l'arbre au-dessus de la source, et les nomma « Cerises ».
Le troisième jour, il faucha le blé.
Le quatrième jour, il moulut les grains et obtint la farine.
Le cinquième jour, il prépara de grandes pierres plates.
Le sixième jour, il inventa le feu.
Lorsqu'il rentra de la chasse le septième jour, Eve avait fait cuire une tarte avec des pommes. Elle était délicieusement sucrée, tendre. Ils burent le jus qui provenait de l'urne dans laquelle Adam avait stocké les cerises. Le septième jour fut parfait.
Le jour suivant, il chercha quelques pommes dans sa réserve, et, pour changer un peu, en choisit des plus grosses, bien vertes. La tarte fut acide, les morceaux de pommes étaient restés durs, Eve devint toute rouge. Elle expliqua que, la veille, les pommes étaient rondes, un peu jaunes, avec des stries rouge sombre, elle exprima si fort qu'elle était en colère qu'il entendit « Jean Colin », ainsi fut nommée la première variété.

L'observation et la curiosité.
Adam se rendit compte que selon les espèces et les variétés, les fruits pouvaient provoquer le ravissement ou la colère, être doux, secs, se garder longtemps ou pourrir à peine tombés de l'arbre. Il apprit, ainsi, à choisir pour un usage précis tel ou tel fruit, telle ou telle variété. Il apprit aussi à nommer chacun d'entre eux pour mieux identifier le fruit selon un usage spécifique.

Comment les reconnaissait-il ?

Bien sûr, il savait sur quel arbre il avait fait la cueillette, mais, surtout c'est en les manipulant longuement, en les goûtant, en les respirant et enfin en les triant qu'il parvenait à les distinguer les uns des autres. Eve avait repéré l'apparition des fleurs sur les arbres peu après les premiers jours du retour du soleil. Les plus précoces étaient très blanches qui donnaient des fruits secs (les amandiers), puis venaient des roses pâles, des roses plus soutenues, etc., toutes plus ou moins éphémères. Les boutons s'ouvraient, les pétales tombaient, puis, peu à peu, dans chaque fleur se formait un minuscule petit fruit. Elle observa que le développement de ces fruits était très irrégulier. Le froid, les insectes, l'abondance, l'arbre qui vieillissait étaient autant de facteurs susceptibles de gêner la croissance. Elle observa plus tard que le fruit tombé à terre libérait en pourrissant tantôt un pépin, tantôt un noyau qui au printemps suivant germerait, comme les glands qu'elle avait vus dans la forêt. Et c'est ainsi qu'un nouvel arbre verrait le jour. Elle observa que ce jeune arbre ne donnait pas les mêmes fruits, un pommier donnait des pommes, un poirier des poires, mais la ressemblance s'arrêtait là. Elle fit donc la relation entre le cycle de la vie des arbres et son ventre qui devenait rond, ses enfants qui naissaient, grandissaient et qui avaient tantôt la couleur des yeux de leur père, de leur grand-mère, ou de tout autre ascendant.

Le langage
Vint le jour où Adam, blessé, ne put aller cueillir des « Jean Colin » pour faire une tarte. Il appela son fils aîné et lui décrivit le fruit : de taille moyenne, bossu, irrégulier, un fond jaune strié de rouge. Caïn lui montra un potiron qui poussait tout près ! Comment lui faire comprendre? Quels mots fallait-il employer ? Que fallait-il décrire ? La plupart des particularités qui permettent de qualifier une variété, sont susceptibles d'être altérées par l'âge ou l'exposition de l'arbre, l'excès de froid, de chaud, de sec. D'autres éléments déterminants relatifs aux sens, comme le goût ou la perception des couleurs, sont tellement subjectifs,… doit-on se décourager pour autant ? Pline l'Ancien décrira une vingtaine de fruits, puis viendront ensuite Olivier de Serres, Jean Bauhin, Knoop, Duhamel de Monceau, et plus tard Poiteau, Noisette, Willermoz, Leroy, A. Mas, Decaisne, Vercier, Chasset, Marlaud, le Verger Français, etc…, qui décrivirent les fruits du terroir. La détermination et le doute.

Adam avait acquis une sérieuse réputation dans le domaine. Aussi lui apportait-on régulièrement des fruits pour les identifier, leur donner un nom et aussi préciser un usage. La plupart du temps, il reconnaissait rapidement le fruit, lorsque celui-ci avait été cueilli sur son terrain de chasse, mais, lorsque ce n'était pas le cas, il n'était pas sûr. La plupart étaient des fruits sauvages ou insipides, mais dont les fleurs avaient l'avantage de nourrir les abeilles ! Bien sûr, toute cette diversité était utile ! Pour ceux qui lui paraissaient intéressants, il tâtait, sentait, goûtait, s'assurait auprès du demandeur de la période de floraison et de cueillette, de la forme de l'arbre. Il trouvait quelques fois une ressemblance avec l'un des fruits qu'il avait déjà rencontrés. Devait-il dire : « C'est une Jean Colin », ou bien « Ca ressemble à une Jean Colin » ou enfin « Je ne sais pas » ? D'ailleurs, pour lui-même, qu'est-ce que cela importait ? La seule Jean Colin qu'il aimait était celle qu'il cueillait au fond du Jardin.

 

Michel BONFANTE

 Mais, au fait, pourquoi y a-t-il autant de variétés ? C'est ce que nous verrons dans le prochain paragraphe.